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L’excellence n’est ni réactionnaire, ni progressiste; elle est tout simplement fasciste

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L’excellence, comme mesure de la performance de toute science, n’est ni réactionnaire, ni progressiste; elle est tout simplement : fasciste; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. (Librement inspiré par un texte fameux de Roland Barthes).

Cette maxime, pastiche d’une célèbre leçon de Roland Barthes au Collège de France, s’applique parfaitement à l’évaluation scientifique revue et corrigée par le new public management des universités et des grandes écoles à la sauce LRU. Plus aucun espace scientifique n’est en effet à l’abri de la colonisation par la rhétorique de “l’excellence” qui s’est imposée en quelques années et tient lieu de viatique à ceux qui ont la responsabilité des institutions scientifiques, et qu’il faut bien aujourd’hui qualifier de “managers”, ou de “patrons”, et non plus de “collègues”.

Tout doit se passer comme si une seule catégorie d’évaluation des produits universitaires mis sur le marché de l’innovation et des idées (on ne parle plus de “connaissances”, ni de “savoirs”, mots désormais entachés d’archaïsme ou de naïveté utopique…) pouvait rendre compte de l’hétérogénéité de nos pratiques universitaires, et des modalités d’investissement dans le temps (des carrières, ou du temps plus immédiat des projets de recherche) ainsi que dans l’espace de la circulation des idées. Le fascisme de l’excellence, qui s’est abattu sur l’enseignant-chercheur, lui impose de dire que son équipe est “excellente”, que ses publications sont “excellentes” et qu’elles trouvent place dans des revues ou des collections évidemment “excellentes”. Le mot revient inlassablement, sous la plume des bureaucrates du  management universitaire et des tutelles, comme dans la bouche d’un commissaire du peuple de la période stalinienne qui répèterait invariablement : “La production agricole augmente, nous allons dépasser les objectifs du plan quinquennal ». On sait pourtant à quelles famines ont abouti les idéologies staliniennes ou maoïstes quand elles ont remplacé l’analyse objective de la réalité…

Car la seule catégorie de pensée que reconnaît un président d’université ou un directeur de grande école un patron d’entreprise de la société de la connaissance… est celle de l’excellence. L’excellence ou rien : il faut que la tutelle, là haut, dans la tour du palais ou au fond du bunker où se prennent les décisions stratégiques, loin des réalités du métier et des enjeux du savoir, soit satisfaite. Pour cela, il faut pratiquer la flatterie : “Ho ouiiii,  mon maîîître, ouiiiii, nous sommes excéééééllents ! »

Mais quel logicien, quel chercheur, pourrait bien se satisfaire d’une telle ineptie, dans la mesure où aucune catégorie ne peut avoir le moindre sens en dehors de sa mise en relation avec, a minima, une autre catégorie ? C’est à dire avec un arrière plan : un signe n’en est un que s’il inscrit une différence : j’ai presque honte de devoir rappeler un tel truisme ! Seule l’idéologie impose des catégories uniques : Dieu, la Patrie, le Parti, etc. Aujourd’hui : l’Excellence.

Une seule Science, un seul Établissement, un seul Chef. Une seule Catégorie !

Tout comme à l’époque des Plans Quadriennaux de la période soviétique, la production des chercheurs ne saurait déroger à la règle d’un accroissement continu de leur productivité. Peu importe les idées, leur pertinence, leur capacité à remettre en question les ordres établis ou le sens commun ! Adieu les enjeux de la compréhension du monde ! Car ce qui compte c’est le facteur H (pour les sciences dures), ou la Sacro Sainte Visibilité (pour les Sciences humaines et sociales). On assiste alors, sidérés, à une régression sans égale vers les tréfonds de la pire médiocrité intellectuelle : pas une réunion entre chercheurs où l’excellence ne soit autoproclamée, à défaut de pouvoir être démontrée ou, mieux, de pouvoir faire sens. Pas une semaine sans que l’on ne dégaine tel ou tel classement médiatique susceptible de faire passer son établissement pour le meilleur du tableau d’honneur local, national, international, et même inter-galactique si on le pouvait, le grotesque n’admettant plus aucune limite. Le niveau des conversations entre chercheurs, souvent consternant en temps normal (on est tout de même passé de “t’as lu le dernier Bourdieu ? » à “t’as eu le dernier ANR ? »…), s’abaisse alors en dessous de la ceinture, et l’on se croirait revenu dans une cours d’école primaire, où des garçons en pleine crise de testostérone, mesureraient la longueur de leur membre viril :

T’as vu ? L’ENS fait partie des cent plus grosses ! ».

En suivant cette logique délétère de l’excellence, il est alors possible de lire ce type de document distribué à l’ENS de Lyon, en réunion du conseil des directeurs de laboratoire, avec pour titre “Réflexions autour des colloques à l’ENS » :

La tenue de colloques est une des manifestations fortes de la vitalité de la recherche à l’ENS. [...] La présidente du conseil scientifique a manifesté le souci de n’avoir à traiter que des dossiers d’envergure et de ne pas avoir à se préoccuper de micro opération de type saupoudrage ne relevant pas de la notion de colloque au sens plein du terme et ne contribuant pas ou peu à la lisibilité nationale mais surtout internationale de l’ENS.

[...]

Proposition.

Nécessité de mieux distinguer clairement au moins deux niveaux de manifestations scientifiques.

1. Les colloques de dimension internationale incontestable, appuyés sur un conseil scientifique solide et diversifié et sur un comité de pilotage où l’école tient une place décisionnelle prioritaire

2. Les multiples journées d’études, symposium, workshop, séminaires élargis qui sont du ressort de la politique et du budget des équipes

Ce document n’a suscité aucune critique.

Toi, lecteur, oui toi, étudiant, universitaire ou peut-être simple internaute de passage ici, tu croyais que dans une École Normale Supérieure on réfléchissait doctement à de passionnants sujets entre intellectuels brillants ? Tu pensais qu’il restait une place institutionnelle pour la pensée scientifique ? Tu dois être bien déçu ! Si tu croyais qu’un colloque était un dispositif collectif de mise en discussion de questions de recherches sérieuses, où la sélection  des intervenants s’inscrivait dans la tradition des referees, des lectures en double aveugle, de l’absence d’enjeux autres que purement scientifiques, détrompe toi : dans une ENS, un colloque c’est juste du buzz, coco ! Du marketing ! De l’événementiel au service de la boîte ! Quant aux journées d’études, si tu croyais comme nous, chercheurs, qu’elles étaient des moyens de mettre en discussion des hypothèses ou d’inviter des chercheurs réputés et forts pour contribuer à la réflexion des doctorants ou des chercheurs du labo autour d’un thème innovant, hé bien arrête de rêver : une journée d’étude – je cite le Petit Livre Rouge du new management model à l’ENS : c’est du “saupoudrage“, des “micro-opérations” qui ne “contribuent pas ou peu à la lisibilité nationale mais surtout internationales de l’ENS ». Et bien entendu, la présidente du conseil scientifique n’a pas de temps à perdre avec de telles inepties : elle ne s’occupe que de la Sacro Sainte Excellence.

Ce que l’excellence occulte : les questions vives et l’inutilité des managers

Quand une idéologie oblige une société ou des institutions à ne s’orienter qu’au sein d’une catégorie de pensée, unique comme dans le cas de l’idéologie de l’excellence, il faut bien se demander ce que cela occulte : on n’oblige les autres à dire quelque chose que pour mieux interdire de voir ou de penser des choses qui dérangent. Sans compter que la médiocrité de l’entourage des managers, le sens commun dont raffolent les cabinets de consultants en communication, en ressources humaines ou en stratégies de marketing qui sont commandités par les universités et les grandes écoles dans leur folle course à l’excellence, ne constituent pas un contexte favorable à l’expression d’une intelligence critique de la situation ni d’une lecture éclairée de la réalité…

Évidemment, ce qui dérange dans la recherche, surtout dans la recherche en sciences humaines et sociales, c’est qu’elle pose des questions, et qu’on ne convertit pas aisément une question en produit de consommation.

Dur constat pour les managers.

D’autant plus dur qu’il s’accompagne de celui de leur inutilité flagrante : la recherche est, historiquement, un système auto-organisé et l’évaluation des connaissances bénéficie d’une longue tradition de collégialité et de parité. Ce sont des pairs, et non les bureaucrates de la communication ou des ressources humaines, ni ceux du marketing des marques universitaires, qui ont les compétences pour évaluer les articles ou les ouvrages qu’un chercheur digne de ce nom rédige. Sans les managers ni les communicants, la recherche continuerait d’avancer. Mais pas sans les chercheurs. Elle avancerait même autant, si ce n’est mieux, sans la couche bureaucratique insensée imposée, depuis les réformes, par le marché et par les politiques au sein des établissements. La seule solution qui reste aux bureaucrates et aux managers, pour légitimer leur action, c’est alors de conformer la réalité perceptive des communautés de chercheurs pour, d’une part, qu’elles ne perçoivent plus l’inutilité de la présence de la bureaucratie ; d’autre part pour instiller quotidiennement l’idéologie utilitariste et mercantiliste selon laquelle une connaissance serait une donnée échangeable sur un marché et qui aurait un prix ; et pour enfin mettre toute l’énergie des universitaires au service d’une politique d’établissement. Car les établissements sont maintenant gérés comme des entreprises opérant dans des champs de concurrence : concurrence pour l’attractivité des diplômes (frais d’inscription de plus en plus élevés, depuis l’adoption de la LRU), concurrence pour l’obtention de crédits publics en voie de raréfaction, etc. L’excellence est donc la catégorie idéologique apte à conformer la pensée des universitaires et des chercheurs dans un régime de concurrence, car il faut extirper de leur esprit et de leurs pratiques toute velléité de collaboration, d’altruisme, de générosité et de partage : notions Ô combien insupportables pour les Présidents d’universités et directeurs de grandes écoles patrons des entreprises de la société de la connaissance.

Et il faut reconnaître qu’opérant sur un arrière plan de dépolitisation des sciences humaines et sociales et de technicisation des sciences expérimentales, l’idéologie de la concurrence et de l’excellence a rencontré un terrain fertile et des serviteurs zélés. Enfin libérés des questions vives ! Les médiocres de la recherche, ceux pour qui seul compte le facteur H ou la visibilité des publications et des équipes, tous ceux pour qui les questions du rapport entre sciences et société ne sauraient être politiques, ni nécessiter autre chose que des ajustements fonctionnels gérables par des communicants et des responsables de marketing, bref, pour tous ces médiocres-là, l’idéologie de l’excellence est du pain béni.

En idéologisant le lexique de la recherche et de l’enseignement au sein d’une catégorie unique, c’est aussi le caractère quotidien, peu spectaculaire et parfois austère de la recherche que l’excellence cherche à masquer : car il faut faire du spectacle, les Présidents d’universités et directeurs de grandes écoles patrons des entreprises de la société de la connaissance ne pouvant évidemment pas satisfaire leurs maîtres du Palais ou du Bunker par des explications sur la complexité du travail de recherche, sur les temporalités longues des carrières ou des expériences ardues avant qu’un maigre résultat émerge, ni avec tous les obscurs et les sans grades qui balisent quotidiennement le terrain des questions et des investigations empiriques pour qu’un jour émerge, peut-être, une star de telle ou telle discipline, émergence jamais certaine, et toujours éphémère : “Ça ne nous fait pas un bon plan média, tout ça, coco ! »

Que faire ?

Le simplisme des conceptions sur lesquelles se base l’idéologie de l’excellence est assez évident pour que la seule issue des actions de ses adeptes soit leur disparition à plus ou moins long terme, et l’effondrement du système qu’ils auront mis en place. Tout comme les régimes soviétiques se sont progressivement effondrés. Certes, ça prendra du temps et on ne va pas se marrer tous les jours… Et ça laissera des traces indélébiles : les sciences humaines et sociales ne disparaîtront pas, en tant qu’institutions, mais leur pratiques vont sans doute se vider de ce qui faisait leur intérêt, social, culturel et politique, au profit d’une recherche administrative, bureaucratiquement gérée, et mise au service de l’acceptabilité de l’innovation et du marché des idées de sens commun. Il restera toujours des espaces et des dispositifs de résistance, mais on voit bien qu’il est de plus en plus difficile de les maintenir en état de survie dans la mesure où les établissements n’ont d’autre objectif que de les faire disparaître, et où ils ne sont plus portés par beaucoup de chercheurs ni d’étudiants. C’est autour des isolats qui auront résisté à ce rouleau compresseur que, tels les indiens des plaines réhabilitant sur le tard leur culture quasi défunte, on pourra reconstruire quelque chose d’intéressant en époussetant les cendres froides et en déblayant les débris de la destruction de notre culture scientifique. En attendant, la résistance passe sans doute par l’obligation de récuser les règles d’un jeu qui ne nous concerne plus, et d’inventer des dispositifs de légitimation et de validation de nos productions qui refusent farouchement (et se donnent les moyens pratiques de refuser…) la mise en concurrence généralisée et le dogme de l’excellence. Bannir ce mot de notre lexique quotidien serait, sans doute, une première étape de ce mouvement d’affranchissement. Faire exister la diversité, et être fiers de la pluralité des conceptions des sciences humaines et sociales, passe par des interrogations éthiques quotidiennes sur la pertinence sociale, politique et culturelle de nos pratiques, de nos choix d’organisation et de gouvernance, de nos modes d’évaluation. Nous n’avons rien de compliqué à inventer : il faut simplement sortir des cadres qui nous sont imposés.


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